Verniana — Jules Verne Studies / Etudes Jules Verne — Volume 7 (2014–2015) — v–viii

Editorial

Garmt de Vries-Uiterweerd

Jules Verne fut l’un des premiers, et certainement l’un des plus célèbres, auteurs à tirer pleinement parti de la disponibilité grandissante de l’information qui a caractérisé le XIXe siècle. Comme il le disait à Robert Sherard dans une interview réalisée en automne 1893, il « avait une chance de pénétrer dans le monde à un moment où il y avait des dictionnaires sur tous les sujets possibles. » [1] Dictionnaires, revues, des périodiques de vulgarisation scientifique comme La Nature et Le Tour du monde : voilà les outils dont Jules Verne se servait pour l’élaboration de sa série de romans couvrant le monde. Ces ressources étaient relativement faciles à obtenir et contenaient une richesse de détails sur les sujets que Verne voulait traiter. Lorsque la «  lecture ne suffisait plus, le romancier consultait parfois un expert pour l’aider avec les aspects techniques.

Pourtant, livres et périodiques étaient confinés dans les bibliothèques. Les cartes récentes et précises des régions spécifiques ne se trouvaient pas toujours à portée de main. Dans la correspondance de Jules Verne avec son éditeur Hetzel, il y a d’innombrables références à des livres, des photographies, des cartes et d’autres sources d’informations qui pouvaient être fournis par des bibliothèques, des éditeurs ou des individus, à la condition de savoir que l’information recherchée existait et où elle pouvait être trouvée. Ainsi, l’aspect physique des ressources que Jules Verne recherchait a parfois entraîné des retards et créé des occasions manquées. Dans un même ordre d’idées, si une collaboration s’imposait, une ou plusieurs réunions devaient avoir lieu, et Verne allait devoir peut-être se déplacer ou écrire des lettres dont les réponses pouvaient tarder.

Cet état de choses est resté inchangé dans la plus grande partie du XXe siècle. Certes, le téléphone a permis un contact plus direct, mais il s’agissait toujours du contact entre deux personnes. Radio et télévision sont apparus comme les nouveaux médias de masse, mais le contenu et le rythme des émissions étaient soumis au bon vouloir des producteurs. Comme sources d’information, elles ne pouvaient faire l’objet d’une recherche, être parcourues ou écoutées et visionnées attentivement. L’avènement d’Internet a entraîné un changement radical dans la façon dont l’information a été distribuée et traitée. La communication entre les individus et entre les groupes est devenue facile, bon marché et presque instantanée au moyen de Usenet ou par e-mail. Le World Wide Web, qui a commencé comme une plate-forme où les scientifiques échangeaient des collections de documents interdépendants, s’est rapidement étendu à l’extérieur du milieu universitaire. Aujourd’hui, nous avons le monde au bout des doigts. Toute source que nous souhaitons consulter est immédiatement délivrée sur nos écrans d’ordinateur, souvent sans aucun frais.

Cette évolution a évidemment eu son impact sur les Études Jules Verne. De plus en plus de ressources sont disponibles en ligne. Beaucoup de textes de Jules Verne ont été publiés sous forme de textes électroniques sur le web [2], leur permettant d’être consultés et recherchés avec des mots, noms ou expressions. Une partie importante des manuscrits de Verne peut être consultée sur le site de la bibliothèque municipale de Nantes [3]. Vieux journaux et magazines sont constamment numérisés par les bibliothèques, nationales et locales, ainsi que par des organisations mondiales aussi bien commerciales qu’à but non lucratif. Le projet Gallica de la Bibliothèque nationale de France [4], qui offre des millions de documents au lecteur intéressé, est particulièrement utile pour les chercheurs Verne. La communication entre spécialistes et amateurs de Verne s’est aussi améliorée. Si, à l’échelle locale, il peut être difficile de trouver des gens partageant les mêmes idées prêts à s’ engager dans la discussion ou la coopération sur un projet, une communauté mondiale est beaucoup facile à créer en ligne. Un meilleur accès aux ressources, de nouvelles méthodes de leur traitement et la diffusion rapide des résultats sont sans aucun doute des avantages pour le spécialiste moderne de Verne.

Il y a, cependant, un revers à ces développements merveilleux. La richesse des informations devient écrasante. Non seulement il est difficile pour les novices de trouver leur chemin vers l’essentiel et de séparer le bon grain de l’ivraie, il est également de plus en plus difficile pour les experts chevronnés Verne de suivre les nouvelles publications dans de nombreux endroits et en tant de langues. Une bibliographie exhaustive consultable en ligne dans la veine du volume compilé par Jean-Michel Margot il y a un quart de siècle [5], ou de l’effort plus récent de Volker Dehs [6], serait un outil précieux. Mais est-il même possible de collecter toutes les ressources liées à Verne ? Et n’y aurait-il pas pléthore de textes de faible ou mauvaise qualité, répétitifs et superficiels dépassant largement le nombre de publications originales et pertinentes ? Les entrées devraient-elles donc être évaluées, ou même choisies selon un critère de qualité quelconque ? Ce serait évidemment soulever des questions éthiques, sans parler de la quantité de main-d’oeuvre nécessaire pour réaliser un tel projet. Il pourrait être plus pratique de compter sur les moteurs de recherche tels que Google pour obtenir les meilleurs résultats pour une requête, mais au prix d’une mise au point ultérieure pour consolider les résultats de la recherche. Ces problèmes ne sont pas uniques au monde des Études Jules Verne, bien sûr ; ils sont propres à la communauté scientifique dans son ensemble.

Pendant ce temps, Verniana, dans sa forme actuelle, ne tire pas encore pleinement parti du potentiel offert par l’outil au moyen duquel le périodique est publié. Comme tout journal en ligne d’accès libre, Verniana est librement accessible aux lecteurs du monde entier. Il n’y a pas de restrictions sur la longueur des textes. Les articles peuvent être richement illustrés, en haute résolution et en couleur, sans aucun coût supplémentaire. Les lecteurs qui ne sont pas suffisamment familiers avec la langue de publication peuvent au moins comprendre l’idée principale en ayant le texte traduit électroniquement en appuyant simplement sur une touche. Ce sont des avantages certains par rapport aux revues imprimées. Mais beaucoup plus pourrait être fait avec du multimédia incorporé, audio, films, cartes à plusieurs niveaux, des éléments interactifs ... les possibilités sont infinies. À l’heure actuelle, tous les articles publiés dans Verniana sont essentiellement statiques, des versions numérisées de textes sous la forme familière d’encre sur du papier à laquelle nous avons été habitués pendant tant d’années. Les auteurs sont-ils tellement attachés (peut-être inconsciemment) à l’ancien paradigme ? Ou n’y a-t-il pas encore eu jusqu’à présent de sujets traités où ces nouvelles techniques auraient été un ajout précieux plutôt qu’un « gimmick » inutile ? Alors qu’un flot linéaire de texte peut être la méthode la plus pratique pour convaincre et argumenter, je suis convaincu, dans certains cas, qu’enrichir un texte avec des éléments d’illustration plus sophistiqués que de simples images statiques peut être plus efficace. Soyons aussi créatifs dans notre utilisation des nouveaux médias que l’homme qui nous a donné des journaux comestibles, des concerts de piano transmis à longue distance et des publicités projetées électriquement !

 

Notes

  1. Sherard, R.H. ― “Jules Verne at Home.” McClure’s Magazine. January 1894. Web: http://jv.gilead.org.il/sherard.html. ^
  2. http://jv.gilead.org.il/works.html. ^
  3. https://bm.nantes.fr/home/espaces-dedies/patrimoine/patrimoine-numerise.html. ^
  4. http://gallica.bnf.fr/. ^
  5. Margot, J.-M. ― Bibliographie documentaire sur Jules Verne. Amiens: Centre de documentation Jules Verne, 1989. ^
  6. Dehs, Volker ― Bibliographischer Führer durch die Jules-Verne-Forschung. Guide bibliographique à travers la critique vernienne 1872-2001. Wetzlar, Phantastische Bibliothek, 2002. ^