Verniana — Jules Verne Studies / Etudes Jules Verne — Volume 6 (2013–2014) — 179–182
Submitted December 28, 2013 Published January 30, 2014
Proposé le 28 décembre 2013 Publié le 30 janvier 2014

Les débuts littéraires de Jules Verne

Jean-Michel Margot

 

Jean-Louis Mongin. Jules Verne et le Musée des Familles. Amiens, AARP — Centre Rocambole & Encrage Edition, 2013, 158 p.


Combien d'éditeurs ont-ils publié Jules Verne en édition pré-originale ou originale de son vivant ?

Avec cette question, Jean-Louis Mongin, déjà connu des lecteurs de Verniana [1], ouvre son récent ouvrage et apporte la réponse, surprenante et inattendue pour les spécialistes de Jules Verne : 28 !

Evidemment, Hetzel se taille la part du lion avec 41% du nombre des premières publications de textes de Jules Verne. Mais si le Journal d'Amiens, Moniteur de la Somme arrive en deuxième position avec 15%, la troisième place est celle du Musée des Familles, avec 8%.

C'est ce dernier périodique qui fait l'objet des soins de Jean-Louis Mongin, avec un ouvrage qui rappelle à la fois l'importance du Musée des Familles dans le parcours littéraire de Jules Verne et l'impact populaire que ce périodique a connu pendant près d'un siècle, longtemps après avoir cessé de paraître.

S'appuyant sur une documentation importante (433 notes en 138 pages!), l'auteur fait revivre ce périodique et les acteurs de cette aventure médiatique. Ils sont tous là et prennent vie, à commencer par Emile de Girardin, le fondateur du Musée des Familles, avec Pitre-Chevalier et Charles Wallut, qui ont tous deux collaboré avec Jules Verne.

Une iconographie de premier plan accompagne les huit parties de l'ouvrage. Dans un court premier chapitre, Jean-Louis Mongin explique au lecteur la problématique à laquelle il lui a fallu faire face pour réaliser ce volume. Il l'écrit clairement :

J'ai toujours été étonné du peu de cas que les spécialistes faisaient du Musée des Familles. Certes, les exégètes et les biographes de Verne connaissent parfaitement les textes originuaux publiés dans ce périodique, mais ils limitent en général strictement leurs recherches et leurs études aux textes eux-mêmes, sans jamais élargir la problématique. Bien peu abordent dans le détail la question de la société de publication elle-même, ou de la collaboration de Verne avec celle-ci. II est stupéfiant de constater qu'aujourd'hui encore on ignore pratiquement tout de cette collaboration. Quelle en fut l'origine, de quelle manière s'est-elle déroulée ? Fut-elle l'objet de contrats, de commandes successives ? Quelles en furent les rémunerations ? Comment furent choisis et contrôlés les textes proposés par Verne ? Tous ses textes sont-ils bien identifiés, authentifiés ? Pourrait-il en exister d'autres, écrits par Verne sous couvert d'anonymat par exemple ? Stupéfiant, en effet, quand on songe que ces mêmes interrogations, appliquées au tandem Verne-Hetzel, sont en grande partie déjà élucidées. (p. 9)

Après avoir établi ainsi le contrat qui le lie à son lecteur, Jean-Louis Mongin va de l'avant plaçant le Musée des Familles dans son contexte sociologique, littéraire et médiatique, avec le fondateur, Emile de Girardin, en figure de proue.

 

 

Puis, l'auteur emmène le lecteur sur le parcours du Musée des Familles, entre sa naissance en 1833 et son extinction en 1900, en lui faisant partager la jeunesse de 1834 à 1844 avec Samuel-Henri Berthoud à sa tête, suivie de l'âge de raison de 1845 à 1881 où Pitre-Chevalier et Charles Wallut comme rédacteurs en chef, enfin pour terminer les années de déclin de 1882 à 1900, avec Eugène Muller responsable de la rédaction pour le compte du propriétaire, Delagrave.

Cet historique est suivi d'un chapitre consacré aux compléments et suppléments du Musée des Familles, qui a généré un Mercure de France, les Modes vraies, des Almanachs, un éphémère Monde des enfants, sans oublier de rares Tables d'index et des publications étrangères, allemandes et espagnoles.

Le chapitre 5 est consacré aux collaborateurs du Musée des Familles. Le lecteur se rend très vite compte que Jean-Louis Mongin, là aussi, a dû défricher une forêt non seulement vierge, mais inextricable. Commençant par une tentative de définition de ce qu'est un collaborateur (écrivain, dessinateur, graveur, musicien — eh oui...), l'auteur tente de savoir si, parmi tous les noms auxquels il est confronté, lesquels sont authentiques, apocryphes, inexistants, ou des pseudonymes. Par exemple, même si Gérard de Nerval figure parmi les collaborateurs du Musée des Familles, il n'y figure aucun texte signé de lui. Où est la supercherie ?

Et voici enfin ce que tout vernien attendait : la collaboration de Jules Verne au Musée des Familles, à quoi le chapitre 6 est consacré. Détaillant chacun des textes verniens du Musée, Mongin nous renseigne sur la manière dont cette collaboration avait lieu, aussi bien au niveau des relations personnelles, épistolaires ou financières qu'au niveau marketing, lorsqu'ayant atteint la célébrité, le Musée promouvoit l'oeuvre vernienne. Les illustrations des textes verniens sont telles que Mongin termine son chapitre en écrivant :

...la richesse et la qualité des images que le jounal a su mettre en ouvre pour illustrer Jules Verne. Le bilan est en effet fort impressionnant : pour onze textes publiés, le journal a fait appel à quinze dessinateurs qui ont composé avec talent pas moins de 86 dessins, tous inédits, et en général d'excellente facture. (p. 137)

L'imprimerie et la reliure, tout le domaine de la fabrication du livre et des journaux, a connu un développement extraordinaire au cours du dix-neuvième siècle. Mongin s'en fait l'écho dans la chapitre suivant, consacré à l'aspect physique du Musée des Familles Passant des livraisons aux recueils, et des fascicules aux cartonnages, il détaille les différents habits et présentations offertes à la famille française lectrice du périodique.

L'ouvrage se termine sur quelques annexes, une bibliographie de base, une chronologie générale succinte, une liste des oeuvres verniennes publiées dans le Musée des Familles, avec les références des premières éditions (pré-originales dans le Musée et originales souvent chez Hetzel, mais aussi chez Gallimard, de l'Ormeraie et Rencontre), pour terminer avec la tomaison précise du Musée.

Indéniablement, l'ouvrage de Jean-Louis Mongin comble une lacune et ouvre la voie à de futures recherches. C'est une somme énorme d'informations, incontournable, qui se doit de faire partie de la bibliothèque de tout spécialiste de Jules Verne.

 

Notes

  1. Jean-Louis Mongin. « Hector Servadac, un vrai faux roman scientifique ». Verniana, vol. 5 (2012-2013), p.15-30. ^

 

 

Jean-Michel Margot (jmmargot@mindspring.com) est un spécialiste de Jules Verne, reconnu internationalement. Il est vice-président de la Société Jules Verne nord-américaine. Il a siégé au Comité d'administration de la Société Jules Verne, à Paris. Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur Jules Verne et son œuvre. D'origine suisse, établi depuis une vingtaine d'années aux Etats-Unis, il fait le lien entre la recherche vernienne européenne et les études verniennes anglophones. En 2008, il a fait don de sa collection Jules Verne — plusieurs dizaines de milliers de documents (principalement sur Jules Verne) et d'objets verniens — à la ville d'Yverdon-les-Bains, en Suisse, qui a chargé la Maison d'Ailleurs (www.ailleurs.ch) de la conserver. Parmi ses récentes publications, il y a l'introduction et les notes de la première traduction anglaise du Voyage à travers l'impossible (Journey Through the Impossible, Prometheus, 2003), Jules Verne en son temps (encrage, 2004) et l'introduction et les notes de la première traduction anglaise des Frères Kip (The Kip Brothers, Wesleyan University Press, 2007). Il est membre du comité de rédaction de Verniana et depuis six ans, en assure la diffusion sur Internet. ^