Verniana — Jules Verne Studies / Etudes Jules Verne — Volume 5 (2012–2013) — 15–30
Submitted May 27, 2012 Published September 1, 2012
Proposé le 27 mai 2012 Publié le 1 septembre 2012

Hector Servadac, un vrai faux roman scientifique

Jean-Louis Mongin


Abstract

Hector Servadac is one of those rare novels in which Jules Verne is almost constantly toying with the improbable and the impossible. Nevertheless, we sometimes find there demonstrations and explicit and detailed numerical calculations that seem a priori to suffer no challenge. The paper argues that these special cases are, after all, only decoys, sets, skilfully staged by the author. With Hector Servadac, Jules Verne relegates the so-called exact sciences to the background in order to focus on subjects far more essential to him, such as humor, poetry, philosophy or symbolism.

Résumé

Hector Servadac est l’un de ces rares romans où Jules Verne tutoie quasiment en permanence l’invraisemblable et l’impossible. Pourtant, on y trouve parfois des démonstrations et des calculs numériques explicites et détaillés qui semblent a priori ne souffrir aucune contestation. L’article tente de montrer que ces cas particuliers ne sont en définitive que des leurres, des décors, savamment mis en scène par l’auteur. Avec Hector Servadac, Jules Verne relègue au second plan et détourne la partie des sciences dites exactes pour s’attacher à des visées bien plus essentielles à ses yeux, comme l’humour, la poésie, la philosophie ou la symbolique.


De la vérité des calculs numériques dans Hector Servadac

Hector Servadac est probablement le moins connu mais aussi le plus curieux des romans cosmographiques de Jules Verne. L’auteur y aborde le très sérieux sujet du système solaire, selon des registres divers, parfois étonnamment décalés, allant de l’astronomie à la poésie, en passant par les mathématiques, la physique, la bouffonnerie, la rêverie, l’humour, la philosophie… Nous sommes donc bien, a priori, dans le droit fil de la ligne éditoriale imposée par Hetzel : instruire en amusant. Mais dans Hector Servadac, on constate que la partie instructive est d’une rare densité, presque surabondante par moment. Pour ce versant du roman, Jules Verne utilise d’ailleurs trois méthodes distinctes. Dans la première, et la plus fréquente, il se contente de retranscrire à l’état brut des informations techniques ou scientifiques recueillies dans des ouvrages spécialisés. Dans la seconde, ces informations sont combinées sous le manteau avant d’être mises en scène. Dans la dernière enfin, plus rare, Verne ne cache plus rien et explique au lecteur comment il parvient à ses résultats.

Avec les deux premières méthodes, en l’absence de référence ou d’indices laissés par l’auteur, la vérification critique des assertions scientifiques et techniques avancées n’est pas aisée. Sauf toutefois lorsque celles-ci conduisent à des invraisemblances ou à des contradictions flagrantes, assez fréquentes d’ailleurs et relevées de longue date dans Hector Servadac. Faut il en effet rappeler ici, entre autres, la trajectoire de Gallia incompatible avec les lois de Kepler [1], la manière peu vraisemblable dont Servadac et ses compagnons sont happés par la comète, puis rendus à la Terre, ou bien encore la survie utopique des personnages malgré les conditions extrêmes sur Gallia ? Autant d’exemples de contradictions, d’aberrations, d’impossibilités manifestes, mais semble-t-il pleinement assumées par l’auteur. Dans Hector Servadac, Jules Verne fait aussi usage de la troisième méthode, notamment pour déterminer les principales caractéristiques de Gallia (diamètre, densité, masse...). L’auteur prend alors soin de détailler par le menu les procédés de mesure, les données initiales, les formules et les calculs qu’il met en œuvre. Autant de précautions qui laissent présager a priori des résultats indiscutables. D’ordinaire Jules Verne est particulièrement habile au maniement des références scientifiques et techniques qu’il assimile et fusionne à sa trame romanesque pour glisser imperceptiblement du réel vers l’imaginaire [2]. Mais ici, il est contraint de déroger à ce « jeu » des références scientifiques puisqu’il ne dispose d’aucune donnée pré existante pour cette comète qui est le fruit de son imagination, et c’est donc pratiquement ex nihilo qu’il conçoit et calcule ses paramètres galliens. Comment expliquer cette apparente singularité ? Cacherait-elle quelques nouveautés dans la manière habituelle de Jules Verne ?

Pour tenter de répondre à ces questions il nous faut passer en revue les calculs détaillés par Jules Verne, mais en nous limitant strictement aux données et aux méthodes qu’il utilise. Embarquons donc à bord de Gallia et prêtons une oreille attentive et studieuse aux conversations échangées, au moment même où l’astronome Palmyrin Rosette prétend déterminer les principales caractéristiques de sa chère comète. Que le lecteur allergique aux calculs numériques me pardonne d’avance, car la suite de mon exposé sera bien évidemment farci de formules et de calculs. Toutefois n’exagérons rien, ces calculs sont en général élémentaires et les calculettes modernes pourront utilement aider les plus pressés et les réfractaires à la bonne vieille méthode du papier et du crayon qui, rappelons-le, était pourtant la seule en usage au moment où Verne a écrit son roman. De plus, pour alléger la lecture, j’ai reporté le plus souvent possible dans des notes annexes le détail des formules et des calculs.

 

De la circonférence de Gallia (Deuxième partie, chapitre V, pp. 345-346 [3])
Un jour – 27 juin –, Palmyrin Rosette arriva comme une bombe dans la salle commune. Là se trouvaient réunis le capitaine Servadac, le lieutenant Procope, le comte Timascheff et Ben-Zouf.
« Lieutenant Procope, s’écria-t-il, répondez sans ambages ni faux-fuyants à la question que je vais vous poser.
– Mais je n’ai pas l’habitude… répliqua le lieutenant Procope.
– C’est bien ! reprit Palmyrin Rosette, qui semblait traiter le lieutenant de professeur à élève. Répondez à ceci : Avez-vous fait, oui ou non, le tour de Gallia avec votre goélette, et à peu près sur son équateur, autrement dit sur l’un de ses grands cercles ?
– Oui, monsieur, répondit le lieutenant, que le comte Timascheff avait, d’un signe, engagé à satisfaire le terrible Rosette.
– Bien, reprit ce dernier. Et, pendant ce voyage d’exploration, n’avez-vous pas relevé le chemin parcouru par la Dobryna ?
– Approximativement, répondit Procope, c’est-à-dire à l’aide du loch et de la boussole, et non par des hauteurs de soleil ou d’étoiles qu’il était impossible de calculer.
– Et qu’avez-vous trouvé ?…
– Que la circonférence de Gallia devait mesurer environ deux mille trois cents kilomètres, ce qui lui donnerait sept cent quarante kilomètres pour son double rayon ».

De la circonférence CG mesurée de Gallia, Procope déduit le diamètre DG qu’il évalue à 740 km. Les choses commencent d’emblée assez mal puisque le calcul montre qu’en définitive ce diamètre vaut 732 km [4]. L’on pourrait croire que M. Rosette procède à un simple arrondi, mais cette démarche serait acceptable si notre savant l’avait appliqué systématiquement et dans des proportions analogues dans tous ses calculs, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Nous verrons d’ailleurs plus loin que l’origine de cette première erreur est ailleurs.

Quoi qu’il en soit, Palmyrin semble admettre cette approximation, puisqu’il poursuit in petto :

– Oui… dit Palmyrin Rosette comme à part lui, ce diamètre serait, en somme, seize fois moindre que celui de la Terre, qui est de douze mille sept cent quatre-vingt-douze kilomètres.

Pour le savant, le rapport des diamètres Terre/Gallia est de l’ordre de 16, alors que le calcul montre qu’il est en réalité de 17,3 [5]. Palmyrin commet donc ici une erreur de 7 %, bien moins tolérable que la précédente. Mais suivons tout de même Rosette qui ne semble pas s’émouvoir pour si peu.

 

De la surface de Gallia (Deuxième partie, chapitre V, p. 345)
– Élève Servadac, reprit Palmyrin Rosette, après avoir un instant regardé Ben-Zouf, prenez votre plume. Puisque vous connaissez la circonférence d’un grand cercle de Gallia, dites-moi quelle est sa surface?
– Voici, monsieur Rosette, répondit Hector Servadac, décidé à se conduire en bon élève. Nous disons deux mille trois cent vingt-trois kilomètres, circonférence de Gallia, à multiplier par le diamètre sept cent quarante…

Ici Servadac passe directement à l’application numérique sans expliquer la « formule » qu’il emploie implicitement, mais qui est néanmoins correcte [6]. Par contre, il sort curieusement de son képi une circonférence gallienne de 2 323 km, alors qu’elle était précédemment de 2 300 km ! Sans qu’il y paraisse, cette pirouette n’est pas anodine, car on constate qu’avec cette valeur le diamètre gallien calculé devient DG ≈ 740 km [4], soit exactement la valeur déduite au début par Procope. Ceci laisse supposer que Verne a d’abord défini le diamètre de sa comète (740 km) avant d’en tirer par le calcul sa circonférence (2 300 km).

Quoiqu’il en soit, avec cette valeur providentiellement corrigée, Servadac peut conclure avec justesse :

– Eh bien, répondit Hector Servadac, je trouve au produit un million sept cent dix-neuf mille vingt kilomètres carrés, ce qui représente la surface de Gallia.

Ce résultat est en effet confirmé par le calcul [7] : la surface gallienne SG est bien de 1 719 020 km2. Mais là-dessus, Palmyrin fait remarquer que Gallia a :

– […] une surface deux cent quatre-vingt-dix sept fois moindre que celle de la terre, qui est de cinq cent dix millions de kilomètres carrés.

Le rapport des surfaces de la Terre ST à Gallia SG calculé par Hector Servadac est correct, car on a bien ST/SG ≈ 297 [8]. Mais on remarque que M. Rosette semble « postuler » la valeur de la surface terrestre : ST = 510 000 000 km², alors qu’il avait le moyen de la déduire du diamètre terrestre DT déjà utilisé plus haut [9]. Or, par ce bais, il aurait trouvé une surface terrestre ST de l’ordre de 514 000 000 km2 qui modifie légèrement le rapport des surfaces. D’ailleurs, il existe une manière bien plus rapide et plus élégante de calculer ce rapport. On peut en effet montrer que ST/SG = (DT/DG)2, ce qui permet d’obtenir directement un rapport de l’ordre de 300 [10].

 

Du volume de Gallia (Deuxième partie, chapitre V, pp. 345-346)

Rosette enchaîne ensuite avec le calcul du volume de Gallia :

« – Élève Servadac, est-ce que vous ne sauriez plus calculer le volume d’une sphère dont vous connaissez la surface?
– Si, monsieur Rosette… Mais vous ne me donnez pas même le temps de respirer!
– On ne respire pas en mathématiques, monsieur, on ne respire pas! »
Il fallait aux interlocuteurs de Palmyrin Rosette tout leur sérieux pour ne pas éclater.
« En finirons-nous? demanda le professeur. Le volume d’une sphère…
– Est égal au produit de la surface… répondit Hector Servadac en tâtonnant, multiplié…
– Par le tiers du rayon, monsieur! s’écria Palmyrin Rosette. Par le tiers du rayon ! Est-ce fini ? »

La formule est correcte, car on a bien V = S x R/3 [11], mais voyons l’application numérique qui suit (p. 346) :

– Le tiers du rayon de Gallia étant de cent vingt-trois, trois, trois, trois, trois, trois…
– Trois, trois, trois, trois… répéta Ben-Zouf, en parcourant la gamme des sons.
– Silence! cria le professeur, sérieusement irrité. Contentez-vous des deux premières décimales, et négligez les autres.
– Je néglige, répondit Hector Servadac.
– Eh bien?
– Le produit de dix-sept cent dix-neuf mille vingt par cent vingt-trois trente-trois donne deux cent onze millions quatre cent trente-neuf mille quatre cent soixante kilomètres cubes.

Notre fringuant militaire, qui affiche un volume gallien de 211 439 460 km3, fait hélas une erreur, car le calcul dûment réalisé donne VG = 212 006 737 km3 [12]. Mais l’espiègle Servadac aurait voulu passer outre les recommandations de Rosette qu’il n’aurait pas fait mieux, car en définitive son calcul néglige simplement les deux décimales imposées par le bouillant astronome [13]. Il berne donc Palmyrin Rosette qui poursuit allègrement (p. 346) :

– Voilà donc le volume de ma comète! s’écria le professeur. C’est quelque chose, en vérité!
– Sans doute, fit observer le lieutenant Procope, mais ce volume est encore cinq mille cent soixante-six fois moindre que celui de la terre, qui contient en chiffres ronds…
– Un trillion quatre-vingt-deux milliards huit cent quarante et un millions de kilomètres cubes, je le sais, monsieur, répondit Palmyrin Rosette [14].

Vérifions pour commencer le rapport des volumes VT / VG annoncé par Procope. Si, comme l’affirme l’astronome, le volume terrestre VT est bien de 1 082 841 000 000 km3, avec VG = 211 439 460 km3 on trouve par le calcul VT / VG = 5 121. On voit que ce rapport diffère quelque peu de celui annoncé par Procope.

Mais on remarque ici qu’à nouveau Palmyrin «postule» le volume terrestre VT, alors qu’il pouvait le déduire du diamètre terrestre DT. Par ce moyen, il aurait trouvé un volume terrestre VT de 1 096 011 195 000 km3, en « chiffres ronds » bien entendu [15]. On a vu d’autre part plus haut que le volume de Gallia calculé par Servadac était approximatif, et qu’il valait en réalité VG = 212 006 737 km3. Si l’on utilise ces valeurs corrigées de VT et VG, on trouve un rapport volumique de 5 170 qui est très proche de celui annoncé d’emblée par Procope ! Pour confirmer ce calcul, on peut aussi montrer que le rapport des volumes est identique au cube du rapport des diamètres [10]. Par ce moyen on trouve un rapport VT / VG de 5 178 [16] qui est du même ordre de grandeur que le précédent (5 170) ou que celui obtenu par Procope (5 166). Le calcul du lieutenant est donc exact et seul Palmyrin se fourvoie lorsqu’il clame avec suffisance un volume terrestre erroné. Notons au passage que Procope, très certainement plus facétieux que craintif, se garde bien de dessiller M. Rosette.

 

De la masse de Gallia

Passons maintenant à la physique amusante, et suivons Palmyrin dans ses expériences de pesée de Gallia [17], partie 2, chapitre VIII, pp. 378 :

– Eh bien, messieurs, ce groupe de quarante pièces, je vais le suspendre au crochet du peson, et, comme j’opère sur Gallia, nous allons savoir ce qu’il pèse sur Gallia. »
Le groupe fut attaché au crochet, l’aiguille du peson oscilla, s’arrêta et marqua sur le cercle gradué cent trente-trois grammes.
« Donc, reprit Palmyrin Rosette, ce qui pèse un kilogramme sur la terre ne pèse que cent trente-trois grammes sur Gallia, c’est-à-dire sept fois moins environ. Est-ce clair ?

La clarté du savant est bien relative, car le rapport de 1 à 0,133 est de 7,52 avec un arrondi plus proche de 8 que de 7, mais passons encore (p. 379-380) :

« […] voici un décimètre cube de cette matière. Que pèserait-il sur la terre? Il pèserait exactement le poids qu’il a sur Gallia, multiplié par sept, puisque, je le répète, l’attraction est sept fois moindre sur la comète que sur le globe terrestre. Avez-vous compris, vous qui me regardez avec vos yeux ronds? »
Ceci s’adressait à Ben-Zouf.
« Non, répondit Ben-Zouf.
– Eh bien, je ne perdrai pas mon temps à vous faire comprendre. Ces messieurs ont compris, et cela suffit.
– Quel ours! murmura Ben-Zouf.
– Pesons donc ce bloc, dit le professeur. C’est comme si je mettais la comète au crochet de mon peson. »
Le bloc fut suspendu au peson, et l’aiguille indiqua sur le cercle un kilogramme quatre cent trente grammes [18].
« Un kilogramme quatre cent trente grammes, multipliés par sept, s’écria Palmyrin Rosette, donnent à peu près dix kilogrammes. Donc, la densité de la terre étant cinq environ ; la densité de Gallia est double de celle de la terre, puisqu’elle vaut dix! Sans cette circonstance, la pesanteur, au lieu d’être un septième de celle de la terre sur ma comète, n’eût été que d’un quinzième ! »

Ici, les calculs sont à peu près corrects. On notera toutefois que, sans approximation, la densité calculée de Gallia serait dG = (1,430 x 7,52) / 1 = 10,75 — valeur cette fois bien plus proche de 11 que de 10 ! De plus, si la Terre et Gallia avaient eu la même densité, le rapport des pesanteurs n’aurait pas été de 1/15, comme le prétend Palmyrin, mais de 1/17 [19]. Mais, de crainte d’irriter Rosette, avançons toujours (p. 380) :

[…] Puisqu’un décimètre cube de la matière gallienne eût pesé dix kilogrammes dans un pesage terrestre, Gallia pesait autant de fois dix kilogrammes que son volume contenait de décimètres cubes. Or ce volume, on le sait, étant de deux cent onze millions quatre cent trente-trois mille quatre cent soixante kilomètres cubes, renfermait un nombre de décimètres représenté par vingt et un chiffre, soit deux cent onze quintillions quatre cent trente-trois quadrillions quatre cent soixante trillions. Ce même nombre donnait donc en kilogrammes terrestres la masse ou le poids de Gallia.
Il était donc inférieur à celui du globe terrestre de quatre sextillions sept cent quatre-vingt-huit quintillions cinq cent soixante-six quadrillions cinq cent quarante trillions de kilogrammes.

Plusieurs remarques sont à faire ici :

– Par conversion de la valeur de VG [20], on trouve VG = 2,1143346 x 1020 dm3. On constate d’abord que si le volume de Gallia, exprimé en dm3, est bien un nombre de 21 chiffres, il varie sensiblement d’une discussion à l’autre. VG passant, selon les circonstances, de 211 439 460 km3 à 211 433 460 km3 avec en définitive une valeur réelle de l’ordre de 212 000 000 km3 !

– Remarquons ensuite que Palmyrin assimile la masse de Gallia à son poids : il ne s’agit pas ici à proprement parler d’une erreur, mais plutôt d’un abus de langage assez courant, même encore de nos jours.

– Enfin, dire que « Gallia [pèse] autant de fois dix kilogrammes que son volume [contient] de décimètres cubes », c’est dire que sa masse exprimée en kilogrammes est dix fois la valeur de son volume exprimé en décimètres cube. Il en résulte ici que la masse réelle de Gallia est dix fois supérieure à ce que M. Rosette veut bien le laisser croire !!!

Tout cela semble laisser indifférent le bon Ben-Zouf, qui veut pourtant en savoir plus :

– […] Enfin que pèse la terre ?
– Cinq mille huit cent soixante-quinze sextillions de kilogrammes, répondit le lieutenant Procope, un nombre formé de vingt-cinq chiffres.

Là encore, il y a incohérence. Car si, comme l’affirme Rosette, la masse de Gallia est de 211 433 460 trillions de kilogrammes, elle-même inférieure à celle de la terre de 4 798 570 540 trillions de kilogramme, c’est que la masse de la terre est la somme de ces deux nombres. Or cette somme vaut très exactement 5 sextillions de kg [21]. On est donc très loin des 5 875 sextillions de kg du lieutenant, mais on peut montrer que ce dernier dit pourtant vrai [22], et qu’en conséquence c’est Rosette qui induit encore une fois son monde en erreur en donnant une différence de masse entre la Terre et Gallia farfelue.

 

De la valeur marchande de Gallia

Retenons toutefois, pour la suite de l’exposé, la masse de Gallia selon Palmyrin, à savoir MG = 211, 433 460 trillions de kg. Alors, selon lui, (pp. 384-386) :

Un tellurure d’or [est un] corps composé qui se trouve fréquemment sur terre, et dans celui-ci, s’il y a soixante-dix pour cent de tellure, j’estime qu’il y a trente pour cent d’or! […] Et puisque ce bloc de tellurure d’or qui nous emporte pèse en poids terrestre deux cent onze quintillions quatre cent trente-trois quatrillions quatre cent soixante trillions de kilogrammes, c’est environ soixante et onze quintillions d’or qu’il apportera à la terre.

La masse de tellurure est exactement la masse de Gallia, c’est-à-dire 211,433 460 quintillions de kg. A raison d’une teneur en or de 30 %, le calcul de Palmyrin est faux, il donne en réalité une masse d’or de l’ordre de 63,4 quintillions de kg. Notre orpailleur en herbe chercherait-il à surévaluer son bien ? Poursuivons donc son calcul de valorisation pour le savoir :

Or, à trois mille cinq cents francs le kilogramme, cela fait en nombre rond deux cent quarante-six sextillions de francs, — un nombre composé de vingt-quatre chiffres.

Palmyrin Rosette se trompe encore, car à raison de 3 500 F/kg, et en suivant son calcul, on trouve que la valeur de Gallia est de 248 sextillions de francs, et non de 246 comme il l’affirme (erreur bien étrange, car Rosette sous-évalue au final bêtement « sa » comète de près de 2 sextillions de francs, ce qui n’est pas rien !). Mais ceci reste de peu d’importance, puisque l’on a vu qu’en réalité la masse d’or contenue dans Gallia était de 63,4 quintillions de kg, ce qui correspond à une valeur pour Gallia de « seulement » 222 sextillions de francs.

 

De Jupiter et de Saturne

Jules Verne donne aussi certains détails directement calculables pour Jupiter et Saturne qu’il m’a semblé intéressant de vérifier.

En ce qui concerne Jupiter (Partie 2, chapitre IX, p. 389), l’auteur indique que :

[…] le diamètre de ce géant est de trente-cinq mille sept cent quatre-vingt-dix lieues, soit onze fois le diamètre terrestre.

Remarquons tout d’abord que Verne change ici brutalement d’unité de longueur, mais cette démarche peu scientifique était très fréquente et admise à son époque. Moins tolérable par contre est l’absence dans le texte d’équivalence explicite entre la lieue et le kilomètre [23]. Quoiqu’il en soit, au bilan, le rapport calculé est exact [24]. Voyons donc la suite :

… et sa circonférence mesure cent douze mille quatre cent quarante lieues.

On vérifie aisément qu’effectivement CJ ≈ 112 440 lieues [25]. Mais hélas, Verne ajoute alors :

Son volume vaut quatorze cent quatorze fois celui de la terre, c’est-à-dire qu’il faudrait quatorze cent quatorze globes terrestres pour égaler sa grosseur.

Par le calcul on trouve un rapport des volumes VJ / VT de 1 419, et non de 1 414 [26]. Cette dernière valeur est toutefois conforme aux informations fournies par la majorité des traités d’astronomie de l’époque, quand ils tiennent compte de l’aplatissement jovien [27]. Tout laisse donc à penser que Verne s’est contenté de reprendre les chiffres publiés dans un ouvrage d’astronomie que nous pourrons préciser plus loin. Poursuivons donc :

Sa masse est trois cent trente-huit fois plus considérable que celle du sphéroïde terrestre ; autrement dit, il pèse cent trente-huit fois plus…

Malheureusement, telle quelle, cette affirmation n’a strictement aucun sens, car masse et poids sont dans les mêmes proportions par rapport à la Terre. Il ne s’agit ici que d’une simple erreur d’écriture, car il suffit de rajouter un trois au texte pour que tout rentre dans l’ordre :

… autrement dit, il pèse TROIS cent trente-huit fois plus, …

 

 

Extrait du manuscrit [28]

 

Cette erreur, décelable immédiatement à la lecture, montre que cette partie du texte n’a guère fait l’objet de relectures sérieuses avant sa publication.

Saturne n’est hélas guère mieux lotie (2ème partie, chapitre XI, pp. 417-419), Verne écrit :

Livre en en main, on apprit que […] la circonférence de cette planète mesure à l’équateur quatre-vingt-dix mille trois cent quatre-vingts lieues. Sa surface est de quarante milliards de kilomètres carrés.

Remarquons à nouveau l’usage hétérogène des unités de mesure. Quoiqu’il en soit, après conversions idoines, le calcul de la surface de Saturne, en utilisant la valeur de sa circonférence, donne un résultat correct [29]. Mais les choses se compliquent ensuite :

… son volume de six cent soixante-six milliards de kilomètres cubes.

Sur la base de la surface déduite précédemment, on trouve par le calcul un volume saturnien de l’ordre 798 000 milliards de kilomètres cubes [30], très diffèrent des 666 milliards annoncés. Mais voyons la suite :

En somme, Saturne est sept cent trente-cinq fois gros comme la terre, conséquemment plus petit que Jupiter. Quant à la masse de cette planète, elle n’est que cent fois plus grande que celle du globe terrestre.

Si l’on s’en tient, malgré tout, aux valeurs retenues par Verne, la comparaison avec le volume terrestre donne VS / VT = 0,61 et non 735, comme il l’indique [31]. Preuve que le volume de Saturne donné dans le roman est totalement faux. D’ailleurs, si l’on utilise le volume déduit de nos propres calculs, on retrouve bien VS / VT = 737 [32].

En fait, tout laisse à penser que Verne s’est inspiré de l’ouvrage Le Ciel, d’Amédée Guillemin [33]. En effet, ce livre donne très précisément, et avec les mêmes unités, toutes les valeurs citées par Verne :

Pour faire le tour de cet immense globe, en suivant le plus court chemin, un de ses habitants aurait à parcourir 90 380 lieues le long de l’équateur [… ]. De telles dimensions indiquent une surface de quarante milliards de kilomètres carrés, un volume de 666 000 milliards de kilomètres cubes. C’est 82 fois la surface de notre globe, 735 fois son volume. Mais la masse de cet énorme sphéroïde est loin d’être en rapport avec sa grosseur, du moins si l’on compare cette masse à celle de la Terre : elle n’est guère que cent fois aussi grande. [34]

… à une exception près, due à une erreur grossière de Jules Verne qui a recopié « 666 milliards de kilomètres cubes » au lieu de « 666 000 milliards de kilomètres cubes » (l’erreur est bien présente dans le manuscrit du roman).

D’autres indices confirment par ailleurs cette source documentaire exploitée par Jules Verne :

– Toutes les valeurs annoncées par Jules Verne pour Jupiter (voir plus haut), se retrouvent aussi intégralement chez Guillemin,

– Guillemin insère dans son ouvrage une planche (voir reproduction ci-dessous) représentant les orbites des planètes du système solaire ainsi que de la comète de Halley [35], très similaire à celle que Verne a lui même dessinée [36] pour son roman (mais que son éditeur a refusé de publier), avec les mêmes orbites circulaires pour les planètes, le même groupe de « planètes télescopiques », la même orbite elliptique pour la comète, etc.

Le Ciel, publié en 1864, est antérieur à l’écriture de Hector Servadac (de 1873 à 1876 environ),

– Enfin, on sait aujourd’hui que cet ouvrage de Guillemin figurait dans la bibliothèque de Jules Verne [37].

Pour en finir avec les calculs, Verne ajoute :

Saturne opère sa révolution autour du soleil en vingt-neuf ans et cent soixante-sept jours, parcourant, avec une vitesse de huit mille huit cent cinquante-huit lieues par heure, une orbite de deux milliards deux cent quatre-vingt-sept millions cinq cent mille lieues, « toujours en négligeant les centimes », comme disait Ben-Zouf. […Saturne] tourne sur son axe en dix heures vingt-neuf minutes, ce qui compose son année de vingt-quatre mille six cent trente jours.

Sur la base des éléments fournis, et avec une année terrestre de 365 jours, le calcul réel aboutit à une année saturnienne de 24 615 jours [38], en « négligeant les centimes » comme le suggère le piquant Ben-Zouf. Vérification bien inutile d’ailleurs, puisque tous ces chiffres se retrouvent à nouveau intégralement dans l’ouvrage d’Amédée Guillemin [39].

On le voit donc, avec les planètes du système solaire, Jules Verne revient à sa méthode classique et bien rodée de l’exploitation et de la manipulation subtile des références scientifiques [2]. De plus, bien que notre auteur se contraigne à des développements et des quasi démonstrations mathématiques pour déterminer les constantes de Gallia, il n'en applique pas moins sa méthode de prédilection pour mettre en scène les formules qu’il utilise et pour comparer Gallia aux autres planètes. Au bilan, dans Hector Servadac, il n’y a pas de dérogation au jeu des références scientifiques si cher à Jules Verne. Il le pratique au contraire avec beaucoup d’agilité, sur plusieurs niveaux et sur plusieurs registres, simultanément.

 

 

Amédée Guillemin : Le Ciel Planche 1 (insérée entre les pages 16 et 17) : « Système solaire »

 

De Verne, finalement plus grand « calculateur » qu’on ne le croit

Charles-Noël Martin, en introduisant Hector Servadac pour l’éditeur Rencontre, signalait déjà en 1968 qu’avec ce roman il est « impossible de s’affranchir de cette idée, sans cesse sous-jacente que tout est faux, de A jusqu’à Z, invraisemblable, d’une invraisemblance criarde, absurde dans ses déroulements et ses détails » [40]. Force est de constater que cette impossibilité s’applique jusque dans les démonstrations mathématiques et numériques pourtant a priori irréfutables. En effet, on a vu que dans ce cas particulier Jules Verne s’appuie, sans réel souci de cohérence d’ensemble, sur des sources d’informations disparates pour établir ensuite, quand cela est strictement nécessaire (ce qui est le cas avec les constantes galliennes), des calculs trop approximatifs, ou pire encore, faux. Bref, on constate a posteriori que ces démonstrations n’ont aucune consistance. Cette démarche scientifique en trompe l’œil n’est donc qu’une façade, un habile décor destiné en partie à donner le change au lecteur néophyte.

Mais peut-on pour autant en incriminer l’auteur ? Sans doute pas, car Verne n’a jamais été un scientifique, et il ne l’a jamais caché. D’ailleurs, lorsqu’il le jugeait nécessaire, il savait s’entourer de spécialistes. Pour Hector Servadac, il consulte le professeur Joseph d’Almeida [41], mais il ne prend guère au sérieux les remarques du spécialiste qui ne portent, selon lui, que sur des « détails de peu d’importance, faciles à corriger » [42]. Contre l’avis du scientifique, il persiste même à vouloir faire revenir ses personnages sur Terre à l’aide d’un ballon. Il ne s’agit là que d’une insouciance apparente, car outre la vulgarisation scientifique, l’un des objectifs de Jules Verne est la rêverie, qu’il veut subliminale, aux antipodes du monde tangible et cartésien des scientifiques. Cette manière de faire, qui nous donne le bonheur de déceler dans ses histoires plusieurs degrés de lecture, dépasse le cadre strict du langage écrit pour empiéter sur le langage des mathématiques par l'intermédiaire des formules, des opérations et des nombres. Jules Verne détourne ce langage très particulier pour exprimer des thématiques qui vont bien au delà de l'instructif, ou du récréatif (qui existe même en mathématique). On pourrait dire ici que notre auteur jongle avec les formules et les chiffres, non pas comme un comptable, mais comme un saltimbanque, un illusioniste. Pour parvenir à ses fins, il détourne avec originalité et brio le langage des mathématiques numériques pour en faire une espèce de litanie poétique, une mélopée sidérale à base de grands nombres, où la forme prévaut sur le fond autant que la qualité sur la quantité, ce qui est, avouons-le, peu banal pour des objets aussi peu poétiques que des nombres ! Peu importe donc le sens exact de ceux-ci, pourvu qu’ils donnent simplement à croire ! Une conversation entre Servadac et Ben-Zouf confirme bien cette superbe « im-pertinence » des calculs du roman :

Mais, demanda alors Ben-Zouf, à quoi servent tous ces calculs que ce savant hargneux vient d’exécuter comme des tours de passe-passe ?
– À rien ! répondit le capitaine Servadac, et c’est précisément ce qui en fait le charme !

Hector Servadac est donc un « compte » charmant, qui n’a nul besoin d’exactitude cartésienne. C’est, pour mieux dire, une fable dans laquelle Jules Verne réussit une subtile alchimie où il mêle adroitement féérie, philosophie et symbolique [43]. Comme telle, le lecteur ne pourra l’apprécier pleinement que s’il consent d’emblée à abandonner sans réserve toutes ses convictions matérielles et cartésiennes. Il lui faudra croire en toute innocence et sans retenue les dires du narrateur (ce que savent si bien faire d’instinct les enfants). Jules Verne, en habille conteur, le sait parfaitement, et c’est pourquoi il conditionne parfois son lecteur, par petites touches discrètes mais insistantes, comme par exemple ici à propos de Palmyrin Rosette :

C’était un véritable savant, très fort en toutes sciences mathématiques. (2ème partie, § I, p. 278).
Palmyrin Rosette pouvait seul élucider tout à fait le problème (2ème partie, § I, p. 288).
– Lui, Palmyrin Rosette, commettre une erreur ! […], cela me paraît invraisemblable ! (2ème partie, § IX, p. 396).
[Palmyrin Rosette] triomphait comme calculateur… (2ème partie, § IX, p. 399).
– Vois si Palmyrin Rosette, qui, lui, est un savant…(2ème partie, § XVII, p. 494).

Et si, par incroyable, d’aucun doutait encore, Jules Verne donne même le dernier mot à l’astronome :

– Je ne me trompe jamais […], et votre insistance est déplacée (2ème partie, § XIV, p. 456).

NOTES

  1. Voir Pierre Terrasse : « Ô combien hypothétique Gallia », Bulletin de la Société Jules Verne, n° 75, 3ème trimestre 1985, p. 237. ^
  2. Voir les très instructifs travaux de Daniel Compère sur ce sujet : Jules Verne écrivain, Droz (Genève, 1991), ainsi que « Le jeu avec les références scientifiques dans les romans de Jules Verne » in De la science en littérature et en science-fiction, Éditions du CTHS (Paris, 1996). ^
  3. La pagination est tirée de Hector Servadac (Les œuvres de Jules Verne, volume n° XIV), édition Rencontre Lausanne (1967). ^
  4. On sait que la circonférence C d’un cercle de diamètre D vaut C = πD, on en déduit que D = C/π, et ici DG = 2 300/3,1416 ≈ 732 km. ^
  5. DT/DG = 12 792/740 = 17,28 ≈ 17,3. ^
  6. En effet, habituellement la surface S d’une sphère est donnée à partir de son rayon R : S = 4πR2. Si l’on veut utiliser le diamètre D et la circonférence C, il suffit de noter dans la formule précédente que S = 4πR2 = 2πR x 2R, ce qui revient à écrire que S = C x D. ^
  7. Avec la formule de la note [6], SG = CG x DG = 2 323 x 740 = 1 719 020 km2. ^
  8. Avec ST = 510 000 000 et SG = 1 719 020, on a en effet ST/SG = 296,68 ≈ 297. ^
  9. La formule de la surface de la sphère peut s’écrire S = 4πR2= 4π(D/2)2 = πD2. Donc ici ST = πDT2. Soit, numériquement, ST = 3,1416 x (12 792)2 = 514 076 545 ≈ 514 000 000 km2. ^
  10. On a vu [9] que la surface S d’une sphère de diamètre D vaut S = πD2. Il en résulte que le rapport des surfaces de deux sphères S/S’ peut s’écrire S/S’ = πD2/πD’2 = (D/D’)2. Autrement dit, le rapport des surfaces de deux sphères est identique au carré du rapport de leur diamètre. Donc ici, si l’on s’en tient au rapport des diamètres retenu par Palmyrin, on a ST/SG = (DT/DG)2 = 162 = 256. Rappelons toutefois qu’en réalité DT/DG = 17,3, et que donc ST/SG =17,32 ≈ 300. A noter qu’avec le même type de raisonnement on montre que le rapport des volumes de deux sphères est identique au cube du rapport de leur diamètre. ^
  11. En effet, on sait que le volume V d’une sphère de rayon R vaut V = (4/3)πR3 = 4 π R2 x R/3. Comme la surface de la sphère est S = 4πR2, V peut donc s’écrire S x R/3 (ou encore S x D/6). ^
  12. Avec SG = 1 719 020 km2 et RG = 370 km, de la note [11] on tire VG = 1 719 020 x 370/3 = 1 719 020 x 123,33 = 212 006 737 km3. ^
  13. On a en effet très précisément 1 719 020 x 123 = 211 439 460 km3. ^
  14. L’échelle utilisée dans le roman pour les puissances de mille est la suivante : 103 = mille, 106 = 1 million, 109 = 1 milliard (et non 1 billion), 1012 = 1 trillion, 1015 = 1 quadrillion, 1018 = 1 quintillion, 1021 = 1 sextillion. Cette échelle est dite de nos jours « courte » (cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89chelle_courte ), à l’exception du milliard qui, pour rester rigoureux, devrait se dénommer billion, mais à l’époque de la rédaction du roman les choses n’étaient pas encore très claires sur ce point. ^
  15. V = (4/3)πR3 = 4/3 π (D/2)3 = π/6 D3 soit ici avec DT = 12 792 km VT = 3,1416/6 x (12792)3 = 1 096 011 195 000 km3. ^
  16. VT / VG = (DT / DG)3 = (17,3)3 = 5 178. ^
  17. On pourrait s’interroger sur la pertinence pédagogique de ce chapitre qui est, du point de vue de la physique, assez confus. Je doute fort que les jeunes lecteurs (d’hier et d’aujourd’hui) puissent saisir ici les subtiles nuances entre poids, masse et densité ! Il faut convenir cependant que la méthode décrite par Jules Verne pour déterminer les constantes galliennes est très astucieuse. Peut-être l’a-t-il imaginé seul, mais je crois plus probable qu’il se soit inspiré d’ouvrages… qui restent à découvrir. ^
  18. Dans le manuscrit (voir la Bibliothèque municipale de Nantes (http://www.bm.nantes.fr) manuscrit numérisé Hector Servadac : image 223), Verne a écrit « l’aiguille indiqua sur le cercle un kilogramme treize cent trente gramme ». Cette valeur n’est pas correcte car on a alors 1,1330 x 7 ≈ 8 et non 10. Le texte du manuscrit a donc ici été corrigé avant publication. ^
  19. On peut en effet montrer assez aisément que pour deux corps célestes sphériques de même densité le rapport de leur pesanteur est identique au rapport de leur rayon ou de leur diamètre. Or, dans le cas de Gallia et de la Terre on a vu que DT/DG = 17,3, donc le rapport des pesanteurs d’environ 1/17, ou à la rigueur de 1/16 si l’on conserve le rapport des diamètres Gallia/Terre admis au départ par l’astronome. ^
  20. VG = 211 433 460 km3 = 2,114 334 6 x 108 km3. Comme 1 km3 = 1012 dm3, VG = 2, 114 334 6 x 1020 dm3. ^
  21. En effet 4 788 566 540 + 211 433 460 donne exactement 5 000 000 000, ce qui laisse supposer que Rosette donne ici à la Terre la masse très arrondie de 5 sextillions de kg, valeur démentie par Procope. ^
  22. Comme la densité de la Terre est de 5 (sa densité est le rapport de sa masse volumique avec la masse volumique de l’eau qui est de 1000 kg/m3), sa masse volumique MVT est donc de 5 000 kg/m3. Le volume Terrestre étant estimé à 1, 095456 x 1021 m3, sa masse vaut MVT x VT = 5 000 x 1, 095456 x 1021 kg, soit environ 5 500 x 1021 kg, valeur peu éloignée de celle annoncée par Procope (la masse terrestre est de nos jours estimée à 5 974 x 1021 kg). ^
  23. La lieue française vaut quatre kilomètres. ^
  24. Puisque DJ = 35 790 lieues, DJ = 35 790 x 4 = 143 160 km, et comme DT = 12 792 km [5] on a : DJ / DT = 143 160/12 792 ≈ 11. ^
  25. CJ = πDJ = π x 35 790 ≈ 112 440 lieues. ^
  26. Comme le volume d’une sphère vaut V= π D3/6, on a ici VJ = 3,1416 x (143 160)3/6 = 1 536 260 000 000 000 km3. De plus, dans le roman, le volume de référence de la Terre est VT = 1 082 841 000 000 km3, il en résulte donc un rapport VJ / VT = 1 536 260 000 000 000/1 082 841 000 000 = 1 419. Si l’on se réfère au volume réel de la Terre tel que nous l’avons corrigé plus haut, à savoir VT = 1 095 453 002 000 km3, le rapport passe à 1 402 environ, ce qui creuse encore l’erreur commise dans le roman. ^
  27. Voir, par exemple, François Arago : Astronomie Populaire, L. Guérin (1867), tome 4, p. 326. ^
  28. Source : Bibliothèque municipale de Nantes (http://www.bm.nantes.fr), manuscrit numérisé Hector Servadac (image 236 : 2ème partie, feuillet 52). On constate qu’au cours d’une relecture Verne a bien rajouté le « trois » manquant dans la première partie du texte : « Sa masse est trois cent trente-huit fois plus considérable… », mais il a oublié d’effectuer la même correction dans la seconde partie de la phrase, d’où l’erreur dans la publication finale. ^
  29. On a vu [6] que pour une sphère de rayon R la surface est S = 4πR2, soit encore S = 2πR x 2πR/π, donc en définitive : S = C2/π, C étant la circonférence. Numériquement, cela donne ici, en transformant les lieues en km : SS = (90 380 x 4)2 / 3,1416 = 41 602 000 000 km2. ^
  30. On a pour une sphère V = (4/3) π R3 = 4/3 π (C/2 π)3 = C3/(6 π2). Donc ici VS = CS3/6 π2 = (90 380 x 4) 3/ (6 x 9,8696) = 7,9789 1014 ≈ 798 000 109 km3. ^
  31. VS / VT = 660 000 000 000/1 082 841 000 000 ≈ 0,61. ^
  32. En effet, avec VS = 798 000 000 000 000 km3 et VT = 1 082 841 000 000 km3, on a VS / VT ≈ 737. ^
  33. Amédée Victor Guillemin (1826-1893). Français, d’abord professeur de mathématique, puis publiciste spécialisé dans la vulgarisation scientifique, notamment en astronomie et en physique. ^
  34. Amédée Guillemin : Le Ciel / Notions d’Astronomie, Hachette et Cie (1864), pp. 291-292. Dans son texte Guillemin tient compte de l’aplatissement de Saturne pour l’estimation de son volume, ce qui explique l’écart avec notre propre calcul : 798 000 milliards de km3 pour nous, contre 666 000 milliards de km3 pour Guillemin. ^
  35. Pour le schéma original de Jules Verne voir Éric Weissenberg : « Le cartonnage du monde solaire », in Bulletin de la société Jules Verne, n° 138, 2ème trimestre 2011, pp. 34-48. ^
  36. La planche de Guillemin était d’ailleurs elle-même tirée de l’ouvrage de Camille Flammarion La Pluralité des mondes habités. ^
  37. Volker Dehs : « La bibliothèque de Jules et Michel Verne » in Verniana volume 3 (2010-2011), pp. 51-118, (http://www.verniana.org/volumes/03/A4/Bibliotheque.pdf). Verne avait d’ailleurs déjà utilisé cet ouvrage pour Autour de la Lune (1870). ^
  38. On sait que 10 heures et 29 minutes font 629 minutes. Comme l’année saturnienne est de « vingt-neuf ans et cent soixante-sept jours » terrestres, que l’année terrestre compte 365 x 24 x 60 minutes et que la journée terrestre compte 24 x 60 minutes, il en résulte qu’une année saturnienne AS, exprimée en jours saturniens, vaut AS = [29 x (365 x 24 x 60) + 167 x (24 x 60)] / 629 = 24 615 jours. ^
  39. Le Ciel, op cit. pp. 288, passim. ^
  40. Charles-Noël Martin : « Préface » in Hector Servadac, op cit. p. VIII. ^
  41. Joseph d’Almeida (1822-1880), professeur de sciences, fondateur en 1873 de la Société de physique. ^
  42. Olivier Dumas, Piero Gondolo della Riva et Volker Dehs : Correspondance inédite de Jules Verne et Pierre-Jules Hetzel Tome II (1875-1878), Slatkine (Genève, 2001), p. 126. ^
  43. Voir notamment Volker Dehs : « Pourquoi Jules Verne a écrit Servadac » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 75, 3ème trimestre 1985, pp. 234-236 ; ainsi que Philippe Langueneur : « Hector Servadac. Des clés pour un livre des morts » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 154, 2ème trimestre 2005, pp. 31-41. ^

BIBLIOGRAPHIE

Arago, François : Astronomie Populaire, L. Guérin (1857).

Chelebourg, Christian : « Contre D’Ennery » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 75, 3ème trimestre 1985, pp. 230-232 ; « Jules Verne la science et l’espace travail sur la rêverie », Archives des lettres modernes n° 282 (Archives Jules Verne n° 4), Paris-Caen (2005).

Compère, Daniel : Jules Verne écrivain, Droz (Genève : 1991) ; « Le jeu avec les références scientifiques dans les romans de Jules verne » in De la science en littérature et en science-fiction, Éditions du CTHS (Paris, 1996)

Crovisier, Jacques : « Hector Servadac et les comètes de Jules Verne », in l’Astronomie, vol. 119, juin 2005.

Dehs, Volker : « Pourquoi Jules Verne a écrit Servadac » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 75, 3ème trimestre 1985, p. 234-236.

Dumas, Olivier : « Hector Servadac a 100 ans / Une lecture comparée » in Bulletin de la Société Jules Verne, n° 42, 2ème trimestre 1977, pp. 54-59 ; « Le choc de GALLIA choque HETZEL » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 75, 3ème trimestre 1985, pp. 220-221 ; suivi du premier dénouement d’Hector Servadac écrit par J. Verne ; « Jules Verne poète et hypocrite » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 75, 3ème trimestre 1985, pp. 228-229.

Evans, Arthur: « L’étrange cas de la planète disparue – Hector Servadac » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 75, 3ème trimestre 1985, p. 233.

Flammarion, Camille : Astronomie Populaire Marpon et Flammarion (1889).

Guillemin, Amédée : Le Ciel / Notions d’Astronomie, Hachette et Cie (1866).

Langueneur, Philippe : « Hector Servadac. Des clés pour un livre des morts » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 154, 2ème trimestre 2005, pp. 31-41.

Philipps, Lionel : « De Hector Servadac à L’Invasion de la mer : un « procédé vernien » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 165, mars 2008, pp. 9-18.

Terrasse, Pierre : « Ô combien hypothétique Gallia » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 75, 3ème trimestre 1985, p. 237.

Verne, Jules et d’Ennery, Adolphe: Voyage à travers l’impossible, Librairie L’Atalante (Nantes 2005).

Weissenberg, Éric: « Le cartonnage du monde solaire » in Bulletin de la Société Jules Verne n° 138, 2ème trimestre 2001, p. 34-48.

 

Jean-Louis Mongin (jynxtrop@me.com), né le 9 août 1954 à Diré Daoua en Éthiopie, est  biochimiste de formation et ingénieur du Centre d'Études Supérieures Industrielles (Paris). Il s'occupe de systèmes d'informations pour une grande entreprise de transports routier et ferroviaire. Il est membre de la société Jules Verne de Paris, pour laquelle il a écrit quelques articles. Bibliophile et passionné par la littérature française du XIXème siècle, Il prépare actuellement une monographie consacrée au Musée des familles qui a publié Jules Verne bien avant Hetzel. ^