Pour présenter ce projet collectif, je partirai d’une expérience personnelle. A différentes époques, j’ai été amené à dresser un bilan des travaux sur Jules Verne. La première fois remonte à l’année 1973 à l’époque de la redécouverte de l’œuvre de Jules Verne, puis d’autres occasions se sont présentées à diverses reprises en 1976, en 2001, en 2005 et tout récemment en octobre 2007.[1] En ayant ainsi essayé de présenter plusieurs fois une synthèse de la recherche sur Jules Verne et en regardant l’évolution de ces bilans, je suis frappé par trois tendances de plus en plus marquées.
D’abord, la diversité : les publications sur Jules Verne portent sur tous les sujets imaginables et donnent une véritable impression d’éparpillement. Pour un nouveau lecteur, selon l’ouvrage sur lequel il va tomber (c’est le mot !), il pourra croire que l’œuvre de Verne relève des technologies, de la médecine, de la psychiatrie, etc. Heureusement, il existe aussi de véritables recherches littéraires, publications de documents, etc.
Ensuite, la confusion : il existe souvent dans ces publications une confusion entre le roman et la réalité (on va reprocher à l’auteur de se tromper sur un fait alors qu’il se situe dans le champ de l’imaginaire) et une confusion entre l’œuvre et son auteur. Je le dis encore une fois : l’écrivain Jules Verne qui prend son porte-plume et qui s’assied à son bureau devant une feuille de papier ne se confond pas avec le narrateur qui, à l’intérieur d’un roman, raconte l’histoire et qui appartient, lui, au domaine de la fiction. J’ajoute aussi un phénomène qui prend de l’ampleur : la grande confusion entre les différentes versions des textes (sans aborder la question des manuscrits et des romans posthumes) : bien souvent, il n’est pas précisé de quel texte il est question. Or, nous savons qu’il existe des versions multiples pour un certain nombre de romans de Jules Verne. Par exemple, si l’on étudie ou si l’on écrit la préface d’une réédition de Voyage au centre de la Terre, parle-t-on de la première édition de 1864 ou de la deuxième de 1867 dans laquelle plusieurs chapitres ont été ajoutés ?
Enfin l’ignorance : en dépit des bibliographies, des lieux de documentation, des publications diverses, je constate dans un certain nombre de publications une ignorance des travaux antérieurs, sans parler de ceux qui publient un article sur un sujet qu’ils croient découvrir alors que le même sujet a déjà été traité quelques années auparavant. A cet égard, l’année 2005 avec son avalanche de publications est révélatrice de cette tendance fâcheuse que l’on pourrait assimiler à celle d’un voyageur qui s’avance sur un terrain sans cartes ni boussole.
Mon souhait est que Verniana soit le lieu de résistance à ces tendances en proposant des études sur Jules Verne qui permettent de revenir à des travaux sérieux, fondés sur une véritable méthodologie et une base solide. Le fonctionnement de la revue en offre les garanties avec un comité de rédaction composé de spécialistes reconnus dans le monde verniste. Ces spécialistes sont chargés d’examiner les articles soumis à publication et de signaler à l’auteur, s’il le faut, des points sur lesquels son article peut être amélioré. Et cela en toute confraternité.
Je suis persuadé que ce projet – ambitieux, certes – fera à terme disparaître les petits défauts de la recherche verniste que je signalais ci-dessus. La diversité des études ne sera plus un éparpillement, mais un enrichissement par la multiplication des points de vue. Les confusions disparaîtront, car chacun des auteurs s’appliquera à préciser les bases sur lesquelles il s’appuie. L’ignorance reculera devant une mosaïque d’études qui fera véritablement avancer notre connaissance de l’œuvre de Jules Verne si riche, si complexe et si passionnante.
Verniana est une revue véritablement internationale qui publiera des articles en plusieurs langues, l’anglais et le français au départ, d’autres langues peut-être. Les articles ne seront pas traduits mais accompagnés d’un résumé dans chaque langue.
Précisons que, à la différence de certaines revues, Verniana n’aura pas de date de sortie précise. Chaque article sera isolément publié dans le format de la revue. Et tous les articles ainsi mis en ligne pendant un an formeront un volume. Le numéro 1 de Verniana va se constituer à partir des contributions apportées au cours de l’année 2008.
Enfin, mais faut-il le préciser, Verniana est une revue du XXIe siècle, accessible librement sur l’Internet par tout utilisateur. Une revue digne de Jules Verne, enfin !
J’ajouterai une dernière note à cet éditorial, une touche de tristesse au moment où Verniana est lancé. Celui qui en fut le concepteur et le premier artisan, Zvi Har’El est disparu quelques jours avant de lancer officiellement la revue. Il voulait qu’elle paraisse pour le 180e anniversaire de la naissance de Jules Verne, le 8 février 2008. L’équipe qui s’est constituée autour de lui a désormais la responsabilité de faire exister cette revue, non seulement pour réaliser ce beau projet, mais aussi pour rendre hommage au collègue qui en a lancé l’idée.
Daniel Compère
Amiens, 3 février 2008
Notes
- J’en précise les références : “La Vernologie” dans Les Cahiers du CURSA (Université d’Amiens), no 1, mars 1974; Le Développement des études sur Jules Verne, écrit avec François Raymond (Paris : Lettres modernes, coll. “Archives”, 1976); “Il reste encore beaucoup à faire...” dans la Revue Jules Verne, no 12, 2e semestre 2001; “Jules Verne : bilan d’un anniversaire” dans Romantisme, no 131, 1er trim. 2006; “Jules Verne : bilan et perspective”, conférence donnée le 26 octobre 2007 dans la Maison Jules Verne à Amiens dans le cadre du cycle de rencontres organisé par l’Université de Picardie.^